Cabinet de Gestalt Thérapie

Olivier Cordier

« Je ne suis pas responsable de ce que l’on a fait de moi, mais je suis responsable de ce que je fais de ce que l’on a fait de moi »
Jean-Paul SARTRE

La courbe du contact en Gestalt-thérapie : une clé pour mieux se comprendre

par | 10/02/2025

Les fondateurs de la Gestalt-Thérapie ont imaginé une « courbe du contact » pour illustrer notre manière d’être au monde, définie comme notre capacité à répondre à un besoin dans un environnement, qu’il soit simple ou complexe.

Rappelons qu’organisme (nous) et environnement (ce et ceux qui nous entourent) sont indissociables. Nous sommes en contact permanent avec un environnement.

La courbe du contact décrit la manière dont nous répondons à l’environnement, entre la naissance d’un besoin puis la satisfaction et l’assimilation de celui-ci.

Pour illustrer cette courbe et les différents freins pouvant se manifester, je prendrai deux exemples. Un exemple simple comme le besoin de satisfaire son appétit quand la faim survient, et l’exemple d’un salarié souhaitant demander une augmentation à son patron.

Nous verrons au travers de ces deux exemples comment répondre à un besoin naissant peut devenir un véritable défi pour certains.

Ainsi, je détaillerai les différentes phases du « contact » et les freins ou résistances pouvant se manifester.  Ces derniers sont des mécanismes de défense appelés en Gestalt-thérapie des « modes de régulation du contact ».

Cette courbe du contact vous aidera à prendre conscience de vos freins dans l’existence et à comprendre pourquoi il est parfois difficile d’atteindre un objectif, tant les résistances se manifestent.

La courbe du contact, selon la plupart des auteurs, comprend quatre phases principales :

  • Pré-contact : Naissance d’un besoin ;
  • Mise en contact : Élaboration d’un plan pour satisfaire ce besoin ;
  • Plein contact : Satisfaction du besoin ;
  • Post-contact : Assimilation du besoin satisfait.

Premier exemple, se nourrir quand la faim se manifeste :
Avant qu’un besoin ne se fasse sentir, nous passons par une étape que nous appelons « vide fertile ». Ce vide fertile est un moment où aucun besoin particulier n’est ressenti, laissant ainsi la place à l’émergence d’un besoin. Par exemple, en marchant dans la rue, je passe devant un bon restaurant et soudainement, la faim se manifeste.

La phase de pré-contact est alors activée. Ensuite, lors de la phase de mise en contact, je planifie comment répondre à ce besoin : entrer dans le restaurant ou rentrer chez moi pour cuisiner. La phase de plein contact correspond au moment où je mange, tandis que la phase de post-contact est celle de la digestion et de l’assimilation. Dans cet exemple, la courbe du contact s’effectue sans frein. Se nourrir peut cependant devenir une action complexe. En effet dans les cas d’anorexie ou de de boulimie par exemple la courbe du contact est affectée par de nombreuses « régulations ».

Les modes de régulation du contact :
Avant d’aborder la seconde illustration, voici une liste des principaux modes de régulation du contact pouvant se manifester lors des différentes phases de la courbe. Ces « régulations », lorsqu’elles se manifestent à bon escient, peuvent être saines, mais lorsqu’elles dominent et empêchent de manière systématique la satisfaction du besoin, elles deviennent pathologiques.

On en dénombre au moins six :

  • La confluence : Il s’agit d’une absence de différenciation entre soi et l’environnement (l’autre par exemple). Dans cet état, les frontières psychiques sont floues ou inexistantes, ce qui empêche de distinguer ses propres besoins, émotions ou opinions de ceux des autres. La personne en confluence cherche l’harmonie à tout prix, quitte à s’effacer. Elle a du mal à dire « non », à poser des limites ou à exprimer un désaccord par peur de briser la relation. Elle adopte souvent les opinions ou comportements des autres, parfois sans en avoir pleinement conscience.
  • Les introjects : Ce sont des croyances limitantes profondément intégrées, telles que « je suis nul » ou « je ne vaux rien ». Ce sont des pensées ou convictions qui n’ont jamais été remises en question et qui conditionnent la personne, la limitant dans ses actions et l’expression de ses besoins. Nous avons tous des introjects, et certains d’entre eux sont utiles (par exemple, l’apprentissage des comportements de sécurité, comme regarder des deux côtés avant de traverser la route).
  • Les projections : La projection revient à attribuer à l’autre ce qui nous appartient. Par exemple, une personne qui considère le besoin d’aide comme une faiblesse peut projeter cette vision sur les autres et s’imaginer qu’ils la jugeront de la même manière. Par conséquent, elle préfère se débrouiller seule, quitte à s’épuiser.
  • La rétroflexion : La rétroflexion, c’est quand l’énergie d’une action tournée vers l’extérieur est redirigée vers soi. Exemple : au lieu d’exprimer de la colère contre quelqu’un, la personne la retourne contre elle-même sous forme de culpabilité, de tension ou de douleurs. Retenir une parole blessante pour éviter un conflit inutile est en revanche une rétroflexion saine.
  • La déflexion : Il s’agit d’un mouvement d’évitement, souvent exprimé par l’humour, qui permet d’éviter la phase de plein contact. Face à une intensité émotionnelle trop forte, la personne choisit de détourner l’attention pour se protéger.
  • L’égotisme : À l’opposé de la confluence, l’égotisme se caractérise par une séparation excessive entre soi et l’autre. La personne se coupe de l’environnement ou des autres pour ne pas être influencée ou touchée émotionnellement. Cela inclut une focalisation excessive sur soi-même, le besoin constant de tout contrôler, ainsi qu’une suranalyse intellectuelle et un repli sur soi.

Il convient de souligner que ces modes de régulation du contact sont des mécanismes de défense développés au fil de notre histoire, destinés à nous protéger de situations qui, aujourd’hui, ne sont peut-être plus pertinentes.

Deuxième exemple : demander une augmentation

Regardons maintenant comment le souhait de demander une augmentation peut être entravé par ces différents modes de régulation. Examinons les freins qui peuvent apparaître à chaque étape de la courbe.

Phase de pré contact

Une personne au trait prononcé de confluence ne demandera pas d’augmentation. Son incapacité à se différencier des autres entraînera une difficulté à voir son besoin émerger.

Quand le besoin se manifeste et est reconnu, alors la personne entre dans la phase de mise en contact. C’est ici qu’elle planifie son approche pour parler à son patron. Plusieurs régulations peuvent se manifester à ce stade :

Phase de mise en contact

  • Les introjects : Ces croyances limitantes rendent finalement la demande impossible. Par exemple : « Je ne vaux rien, je ne mérite pas cette augmentation, ça ne sert à rien de demander. ».
  • Les projections : La personne peut projeter son propre rapport insécurisant à l’argent sur son patron. Par exemple : « Je vais mettre en difficulté l’entreprise si je demande de l’argent. » Elle attribue ainsi à l’autre ce qui lui appartient.
  • La rétroflexion : La personne souhaite demander une augmentation à son patron, mais elle se retient en trouvant toutes sortes de raisons pour ne pas le faire (‘Ce n’est pas le bon moment’, ‘Je ne la mérite pas vraiment’). Plutôt que d’exprimer son besoin, elle retourne cette énergie contre elle-même, accumulant frustration et auto-critique.
  • La déflexion : Face à l’intensité de la situation, la personne peut éviter de formuler explicitement la demande d’augmentation en déviant la conversation avec son patron, par exemple en changeant de sujet, en plaisantant, ou en mettant l’accent sur des éléments secondaires. Ce mécanisme permet de détourner l’attention de la demande réelle, de sorte que le patron ne comprend pas pleinement le besoin sous-jacent.

Phase de plein contact et post-contact (assimilation)

Au moment du plein contact, la demande d’augmentation est enfin formulée. Deux possibilités s’offrent alors :

  1. La demande est acceptée : L’expérience est assimilée sans difficulté. Le besoin a été satisfait, ce qui renforce la capacité à oser demander à l’avenir.
  2. La demande est refusée (« Non, je ne peux pas vous augmenter ») : Deux réactions sont possibles face à ce refus :
    • Assimilation ajustée : J’intègre ce refus comme une expérience parmi d’autres, sans l’interpréter comme une attaque personnelle. Je peux en tirer des enseignements et envisager de faire une nouvelle demande à un moment plus opportun.
    • Mode égotique : Je me referme sur moi-même, interprétant ce refus comme une atteinte à ma valeur personnelle. Au lieu d’assimiler l’expérience, je ressasse l’injustice perçue, nourrissant frustration et ressentiment. À terme, cette rigidité peut inhiber ma capacité à agir, me faisant renoncer à toute future demande.

    L’égotisme apparaît ici comme une défense face à la réalité du refus. Plutôt que d’accepter l’expérience et de l’intégrer, il enferme dans un repli où l’on se prive de l’apprentissage nécessaire pour avancer.

En résumé :

La satisfaction d’un besoin peut être fluide dans certains contextes et laborieuse voire impossible dans d’autres. Par exemple, certains se sentent à l’aise dans leur vie professionnelle et parviennent à satisfaire les besoins qui émergent dans ce cadre, mais sont démunis dans le domaine affectif. Les résistances se manifestent ainsi de manière contextuelle. Votre histoire, vos croyances et vos schémas relationnels influencent la manière dont vous traversez chaque étape de la courbe, en facilitant ou en entravant l’accès à vos besoins.

Prendre conscience de la manière dont vous répondez – ou non – à vos besoins tout au long de la journée permet d’identifier les résistances qui freinent votre élan naturel. Ces observations ouvrent la voie à une meilleure compréhension de soi et à des ajustements progressifs.

En thérapie, la courbe du contact et ses modes de régulation constituent un outil précieux pour identifier ce qui entrave l’épanouissement d’une personne et l’empêche d’évoluer avec fluidité.

  • Pour une personne confluente, le travail consistera à poser des limites, identifier ses propres besoins, et s’affirmer sans craindre un éventuel conflit.
  • Les introjects se travaillent en prenant conscience des croyances intégrées et en les remettant progressivement en question.
  • La projection, quant à elle, peut être abordée en aidant la personne à identifier ce qu’elle attribue aux autres et qui lui appartient en réalité.
  • La rétroflexion, souvent liée à une colère retournée contre soi-même, peut être explorée en séance en encourageant l’expression émotionnelle. Par exemple, la personne pourrait exprimer sa colère envers un objet personnifié pour relâcher cette énergie.
  • La déflexion peut être travaillée en invitant la personne à ralentir et à explorer ce qui se passe en elle, étape par étape. Par exemple, si elle détourne l’attention face à une émotion forte, le thérapeute peut l’encourager à nommer ce qu’elle ressent ou observe dans l’instant. Cela permet de réduire les évitements et de rétablir un contact plus direct avec ses émotions et l’autre.
  • Enfin, l’égotisme se travaille en rétablissant le lien avec l’environnement, en accueillant ses émotions sans les intellectualiser ni les rejeter, et en apprenant à être plus authentique dans ses relations.

Pour conclure :

La courbe du contact permet de comprendre comment une personne traverse le processus de satisfaction de ses besoins, et d’identifier les régulations liées à l’histoire personnelle et aux croyances. En prenant conscience de ces résistances – qu’elles soient liées à la confluence, aux introjects, à la projection, à la rétroflexion, à la déflexion ou à l’égotisme – il devient possible de mieux comprendre les mécanismes qui freinent la réalisation de soi. Le travail thérapeutique consiste à explorer ces freins pour rétablir la fluidité dans la satisfaction des besoins.