Cabinet de Gestalt Thérapie

Olivier Cordier

« Je ne suis pas responsable de ce que l’on a fait de moi, mais je suis responsable de ce que je fais de ce que l’on a fait de moi »
Jean-Paul SARTRE

L’expérience

Nous sommes en 1963, dans le Connecticut. Le professeur Milgram fait passer une annonce, destinée à recruter des cobayes pour une expérience -rémunérée- sur le processus d’apprentissage. Un  »élève » et un  »enseignant » seront placés sous l’autorité d’un observateur scientifique chargé de faire respecter le protocole de l’expérience.

Ce que le candidat ignore, c’est que le seul et unique cobaye de l’expérience, n’est autre qui lui-même. Il endossera le rôle d’« enseignant », le tirage au sort étant truqué !  »L’élève » et  »l’observateur scientifique » sont des acteurs.

L’élève, installé sur une sorte de chaise électrique reliée à un pupitre de contrôle commandé par l’enseignant/cobaye, doit répondre à une série de questions. À chaque mauvaise réponse, l’enseignant doit infliger à l’élève une décharge électrique de plus en plus forte, allant de  »très faible » à  »potentiellement mortelle ». Bien entendu, l’élève va se tromper quasi systématiquement, amenant l’enseignant à lui infliger des chocs électriques de plus en plus violents, provoquant des hurlements de douleur.

Devant les souffrances qu’il inflige à l’élève, et face aux supplications de ce dernier, l’enseignant va finir par douter du bien-fondé de l’expérience.

Mais l’observateur scientifique, portant sur lui toutes les marques de l’autorité (titre de professeur, blouse blanche, ton péremptoire), poussera l’enseignant à mener l’expérience à son terme, usant d’arguments comme l’intérêt de la science, l’engagement librement consenti, l’obligation d’obéir à une autorité supérieure, et enfin la décharge de toute responsabilité de l’enseignant en cas de décès de l’élève.

Les résultats sont glaçants : dans bien des cas, les enseignants/cobayes obéiront à l’ordre donné et infligeront une décharge potentiellement mortelle à l’élève, même si leur conscience leur intimait d’arrêter. Ils se sont soumis à une autorité contraire à leur éthique, parce que c’est l’autorité.

Savoir dire non !

Oui, je vous concède qu’aborder le sujet du « savoir dire non » au travers de cette expérience peut paraître audacieux, pourtant nous sommes dans le sujet. En effet, chaque cobaye avait la liberté de dire « non » à l’envoi des chocs électriques, et ce à tout moment. Cette étude parle de la soumission à l’autorité, et moi je souhaite parler tout simplement d’une incapacité très répandue qui consiste à dire  »oui » alors qu’on voudrait dire  »non ». Et ce, qu’il y ait une figure d’autorité ou non.

Plongeons au plus profond de nous-même et interrogeons-nous sur le nombre de fois où nous disons « oui » alors que nous pensons « non » et le nombre de fois où nous disons « non » alors que nous pensons « oui » !

Ce petit « oui » glissé à l’autre pour lui faire plaisir ou ne pas le blesser, ou ce petit « non » qui est prononcé à l’autre pour les mêmes raisons.

Illustrons cela au travers d’un exemple concret :

Imaginez votre compagnon ou votre compagne vous demandant de l’accompagner chez ses parents dimanche prochain pour un déjeuner de famille. Vous n’avez pas du tout envie de vous y rendre car vous rêvez de vous reposer après cette dure semaine de travail ! Et pourtant, vous répondez « oui ». Pourquoi répondre « oui » alors qu’on pense « non » ? C’est peut-être une manière d’être sensible à l’autre et lui faire plaisir. Ou une manière d’éviter un conflit. Ou une réelle incapacité à dire « non ». Dans les trois cas, vous ne posez pas votre besoin de repos. Vous vous oubliez au profit de l’autre.

Soyons clair :

Si nous disons « oui » de temps en temps pour éviter un conflit ou tout simplement faire plaisir à l’autre, et si cela n’occasionne aucune contrariété en vous, rien d’alarmant.

En revanche, si vous vous trouvez systématiquement dans l’incapacité de dire « non » et ce de manière pathologique, prenez le temps de vous interroger : que se passe-t-il pour vous à ce moment-là ?

Si par exemple vous éprouvez du ressentiment vis-à-vis de l’autre, sachez qu’à force de répétition, vous risquez de devenir une bombe à retardement. À force de dire oui à des propositions avec lesquelles vous n’êtes pas d’accord, vous affaiblissez l’estime de vous-même et vous stockez en vous un ressentiment qui un jour explosera sans raison pour un fait ordinaire.

Apprendre à dire « non » ou à dire « oui » est une manière de poser des limites. Sans limites posées, vous risquez, en vous oubliant, de nourrir colère et frustration vis-à-vis des autres. En thérapie, c’est un sujet qui revient souvent car il parle d’autonomie et de responsabilité.

Formuler un « oui » ou un « non » authentique, c’est devenir autonome. Cela ne signifie pas s’opposer aux autres, c’est créer la juste distance entre soi et les autres. C’est aussi une manière de dire à l’autre ce dont vous avez besoin, car personne ne peut lire dans vos pensées.

Si vous prenez soin de vous en posant vos limites, vous prenez soin de votre environnement. Vous restaurez votre estime et vous pacifiez vos relations. Cela reste un exercice difficile pour certains que de dire « non », mais ne vous découragez pas car rien n’est impossible, rien n’est figé quand on s’autorise à changer.